Existe-t-il des points faibles naturels ?

Publié le par Jimoni

En stratégie, la recherche des points faibles de l'adversaire est quelque chose de primordial et de basique à la fois. Frapper les points faibles de l'ennemi et éviter ses points forts, c'est une vérité générale qu'on admet tous assez facilement. Toutefois, c'est une vérité qui n'a que peu d'utilité : certes, il faut chercher et frapper les points faibles, mais comment les trouver ?

Il y a peu de temps, j'ai relu Sun Tzu. L'art de la guerre est toujours d'une grande pertinence et a l'avantage de nous faire apprendre de nouvelles choses à chaque lecture. C'est sans doute parce qu'il donne des vérités générales et qu'il nous laisse les interpréter en fonction de nos nouvelles expériences ou de nos nouvelles connaissances. Encore une fois, en le relisant, j'ai appris, ou plutôt une nouvelle réflexion m'est venue qui m'a donné l'envie d'écrire cet article.

Tout part de la citation suivante issue du chapitre 6 de L'art de la guerre (version traduite par Jean Lévi, aux éditions Hachette Littératures) intitulé "Vide et plein" : "(l'ennemi) Garde-t-il ses avants ? il expose ses arrières. Renforce-t-il ses arrières ? il dégarnit ses avants. Protège-t-il son flanc gauche ? il dépeuple son flanc droit. Se garde-t-il sur la droite, qu'il affaiblit sa gauche. S'il se protège partout, il n'est défendu nulle part.".

Ce passage est extrêmement banal. Il exprime, en effet, une idée très simple : si tu es davantage concentré sur un point, tu es moins concentré sur un autre point. C'est une vérité qu'on peut nous-même vérifier chaque jour : si on écoute de la musique, on écoute moins bien les gens qui nous entourent. En bref, ce que dit Sun Tzu peut être résumé par l'expression populaire suivante : on ne peut pas être au four et au moulin. Mais, deux choses peuvent être déduites de cette simple vérité, et c'est peut-être à cela que pensait Sun Tzu quand il a décidé d'écrire ces phrases (et donc, de souligner ce point).

La première chose est qu'il est impossible d'avoir une stratégie infaillible. En effet, l'art de la guerre consiste à savoir où concentrer ses efforts, ses moyens. C'est un art de distribution des ressources, ou d'allocation des ressources pour reprendre une terminologie proche des théories économiques. Par exemple, lorsqu'un stratège décide de concentrer 10.000 soldats dans l'attaque d'une ville A, ce sont autant de soldats qui ne seront pas utilisés dans la défense de ses propres villes. Plus concrètement, lorsque le Troisième Reich concentrait la plupart de ses efforts sur le front de l'Est contre l'Union soviétique, il était alors moins concentré en Afrique. En fait, quelle que soit la stratégie adoptée, elle aboutit à une répartition particulière des forces, voire plus précisément à un système d'emploi des forces sur un espace donné dans lequel on peut nécessairement observer des points forts et des points faibles. En fait, il n'y a pas de Yin sans de Yang, comme il n'y a pas de concentration sans déconcentration (peut-être que sur ce point, on peut encore voir l'influence de la philosophie taoïste sur la pensée stratégique de Sun Tzu).

La seconde déduction que l'on peut faire de la citation de Sun Tzu est peut-être d'une portée plus importante. Dans le cas de la concentration, il y a nécessairement une déconcentration et donc un point faible. Cette nécessité peut être qualifié de "naturel", c'est-à-dire que ce type de points faibles apparaissent naturellement du fait de la configuration particulière d'un système de forces. Or, si ce type de points faibles existe naturellement, peut-être qu'il en existe d'autres ? Peut-être que si je suis tranquille, je risque d'être pris par surprise. Peut-être qu'à l'inverse, si je suis à trop à l'affût, je m'affaiblis parce que je mobilise trop mes ressources. Peut-être que si je me montre souvent courageux, je me montre plus souvent imprudent. Etc.

Au début de l'article, on se demandait comment trouver les points faibles de l'adversaire ? La stratégie n'est pas une science exacte et on doit toujours s'efforcer de les trouver sur le terrain, en allant rechercher les informations. Toutefois, pour ma part, j'interprète la citation de Sun Tzu comme une invitation de sa part à réfléchir et à nous cultiver. Certes, je ne peux pas savoir à l'avance quels seront les points faibles de mon adversaire, mais je sais par déduction que s'il est concentré ici, il n'est pas concentré là-bas. Quel que soit mon adversaire, cette vérité restera. De même, si on va plus loin que Sun Tzu, on remarque qu'historiquement une armée trop importante dépend fortement de ses voies de communication. Ainsi, que ce soit par la raison ou par l'étude de l'histoire, on peut déterminer des points faibles "naturels", inhérents à un système donné. Ainsi, le "comment trouver" présent peut être résolu par une réflexion a priori, avant le combat. Mais désormais, le tout reste de savoir : quels sont ces types de points faibles ?

 

 

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