La meilleur défense, c'est... la défense ? (Clausewitz)

Publié le par Jimoni

« La meilleure défense, c'est l'attaque. ». Cette phrase issue de notre sagesse populaire, et parfois attribuée à Napoléon Bonaparte, signifie qu'il serait préférable d'attaquer pour se défendre. En effet, attaquer permettrait de vaincre l'adversaire avant que celui-ci nous menace. En soi, le raisonnement est juste : si je détruis mon adversaire, il ne pourra plus me menacer. Mais, encore faut-il que cet adversaire soit suffisamment faible pour être aussi rapidement détruit par une soudaine attaque. Or, espérer rencontrer un tel adversaire, c'est illusoire, ou c'est compter sur sa bonne étoile. En effet, il ne faut jamais oublier que tout conflit implique une dialectique. Cela signifie que l'adversaire en face n'est pas un poids mort, mais un être réactif qui s'adapte à nos actions. Même s'il est plus faible que nous, il adaptera sa stratégie au rapport de force. Il ne se laissera pas vaincre aussi facilement. Ainsi, le proverbe dont nous parlons est simpliste et semble omettre la moitié de la réalité d'un conflit : l'adversaire.

 

Sur cette question de la supériorité de l'attaque sur la défense, et vice-versa, beaucoup d'auteurs s'y sont penchés. Parmi eux, le célèbre Clausewitz dont nous avons déjà maintes fois parlé a traité de cette question dans son ouvrage De la Guerre. Quelle conclusion tire-t-il de ses raisonnements ? La défense serait, en général, une forme stratégique supérieure à l'attaque. Nous allons voir pourquoi.

Carl von Clausewitz est un militaire prussien né en 1780 et mort en 1831. Fortement marqué par la période napoléonienne qu'il a directement vécu, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les campagnes napoléoniennes. Il est également un grand théoricien militaire. Son ouvrage "De la Guerre", inachevé, mais publié après sa mort par sa femme, est étudié par les stratèges du monde entier.

 

Pour commencer, il faut d'abord comprendre que Clausewitz n'envisage pas l'attaque et la défense comme des oppositions. Selon lui, elles se complètent et sont de nature différentes. L'attaque vise un objectif positif parce qu'il vise à acquérir, ou détruire : "donner un coup". La défense vise un objectif négatif parce qu'il vise à préserver : "parer un coup". Or, il remarque qu'en général, et pas seulement à la guerre, il est plus facile de conserver que d'acquérir.

 

En effet, pour Clausewitz, plusieurs raisons expliquent la supériorité de la défense sur l'attaque.

  • D'abord, la défense a l'avantage du terrain : l'attaquant s'aventure sur un terrain qu'il ne connaît pas, contrairement au défenseur. L'attaquant a plus de difficultés que le défenseur à connaître les manœuvres de son adversaire. Le défenseur dissimule plus facilement sa formation et observe l’arrivée de l’assaillant.

  • Ensuite, la défense peut attaquer plus facilement de plusieurs côtés. Il est vrai, l'attaquant peut aussi attaquer de plusieurs côtés, mais le défenseur a une plus grande mobilité parce qu'il est sur ses terres. L’attaquant ne peut surgir que de par l’espace qu’il se crée en s’avançant, alors que le défenseur peut surgir de l’ensemble de l’espace qu’il contrôle déjà. Cela offre une liberté d'action considérable au défenseur.

  • Troisième raison, Clausewitz souligne que le défenseur peut ajouter des fortifications sur son terrain : forteresses, tours, pièges, etc. Ces fortifications confortent le défenseur dans sa position en augmentant ses capacités défensives.

  • Enfin, le défenseur est plus près de ses bases que l'attaquant. Cela signifie que le défenseur peut plus facilement ravitailler ses troupes ou plus facilement soutenir ses combattants par l'envoi de renforts. Par ailleurs, le défenseur bénéficie du soutien direct de sa population.

 

En fait, si on résume le raisonnement de Clausewitz, le défenseur est avantagé parce qu'il est chez lui. Il est mieux préparé, mieux informé et plus mobile.

 

Pour terminer, Clausewitz tire une conclusion de cette supériorité de la défense. Il conclut que si la défense est plus avantageuse que l'attaque, cela signifie que le combattant le plus faible doit adopter une stratégie défensive pour compenser sa faiblesse. C'est-à-dire qu'il doit parer les coups de son adversaire, ou les éviter. Mais, il constate aussi qu'il n'est pas possible de gagner sans attaquer. Comme nous l'avions dit, la défense ne vise que la conservation. Or pour gagner, il faut acquérir et donc attaquer. C'est pourquoi une stratégie défensive qui vise à obtenir la victoire est une stratégie contre-offensive. Le défenseur pare, évite les coups et attaque lorsqu'il est sûr de faire mal à l'adversaire. Et dès qu'il se sent suffisamment fort par rapport à son adversaire qui se fatigue, il peut passer à l'offensive. Bien sûr, une stratégie défensive peut également se limiter à obtenir "la non-défaite" en se limitant à parer l'offensive de l'adversaire, mais dans ce cas il n'y aura pas de victoire au sens clausewitzien, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas d'acquisition ou de gain.

Ainsi, en général, la faiblesse doit être compensée par une stratégie défensive. Et, une défense réussie doit être suivie par une stratégie offensive pour obtenir la victoire sur l'adversaire.

 

Remarque : dans le raisonnement de Clausewitz, les mots "en général" sont importants. Jamais Clausewitz n'affirme que la défensive est toujours avantageuse par rapport à l'attaque, c'est simplement le cas le plus fréquent. D'ailleurs, comment justifier une offensive si la défense était toujours préférable ? Pourquoi passer à la contre-attaque ? Si je contre-attaque, c'est bien parce qu'il m'est désormais avantageux d'achever l'adversaire pour mettre fin définitivement à la menace adverse. Ainsi, il faut bien comprendre l'affirmation de Clausewitz de la supériorité de la défense sur l'attaque comme une vérité générale et non une vérité absolue.

 

Dernière remarque : Ce raisonnement est valable aussi bien pour la tactique que pour la stratégie.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article