Le don d'espoir d'un général.

Publié le par Jimoni

Dans un pays en guerre, et en difficulté, le conseil des généraux avait lieu. À l’ordre du jour, les fortes désertions, les rumeurs de mutineries, ainsi que la baisse générale du moral des troupes. En effet, suite aux multiples défaites subies sur le front, un sentiment de défaitisme s’installa à travers le pays. Les soldats étaient moins combatifs, ainsi que la nation entière. Les ouvriers de l’industrie militaire étaient moins productifs. Les articles pessimistes se multipliaient dans les journaux. Les internautes faisaient part de leur inquiétude, de leur peur, voire de leur terreur quant au déroulé de la guerre. C’est dans ce contexte que les généraux tenaient leur réunion pour coordonner leurs actions et mettre en place une stratégie adéquate.

Alors, que faire face à cette situation ? Pour la plupart des généraux, la diminution brutale du moral de la nation résultait de la situation stratégique. En effet, des erreurs ont été commises lors des opérations, l’ennemi a été plus malin. Il faut donc penser à long terme et mettre en place une stratégie efficace qui permettra, au moins, de stabiliser le front. Autrement dit, on passera outre les résultats de court terme pour privilégier la stratégie globale.

Mais, le général Devout n’était pas de cet avis. Selon lui, il sera impossible de poursuivre la guerre avec un tel état de délitement des troupes. Il faut absolument remonter le moral à tous, et tout de suite. Attendre, ce serait entretenir le défaitisme. S’il était d’accord avec le fait de stabiliser le front par une stratégie à long terme, il était néanmoins impossible d’accomplir cet objectif sans une bonne dose de forces morales. C’est pourquoi il soutenait l’idée d’une offensive localisée, sûre et très médiatisée pour donner l’illusion au pays qu’on reprend l’initiative. De plus, l’ennemi sera peut-être impressionné par notre prestation et sera dès lors moins confiant. Peut-être que ses plans seront bouleversés, parce qu’il doutera de ses calculs.

Néanmoins, les autres généraux n’étaient pas d’accord avec la proposition de Devout : celui-ci préconise littéralement une illusion, une foutaise. Dès lors qu’on subira de nouvelles défaites, la population s’en rendra compte, et le moral retombera et chutera encore plus bas. Mieux vaut être sincère et concentrer nos efforts sur la stabilisation de la situation. Puis, cette proposition repose aussi sur peu de certitudes. Il faut donc s’en tenir à une stratégie moins risquée.

Suite à cette réunion, Devout restait perplexe. Sans espoir, il sera impossible de poursuivre la guerre à long terme. Pendant que son pays baissait les bras, l’adversaire se montrait de plus en plus motivé à nous vaincre. Mais, à la fois, Devout était attaché à la discipline. Que faire ? Désobéir à la décision concertée du conseil, ou mal servir sa nation ? Tant pis ! Le conseil a tord, il en était persuadé. Aussitôt, il planifia seul une opération localisée visant à obtenir une victoire mineure sur le front, une victoire de nature à redonner l’espoir à toute une population.

La manœuvre envisagée était simple. Il fera dirigé la majeure partie de ses troupes vers une zone stratégique dans le but d’y simuler une offensive majeure. L’adversaire, naturellement, sera contraint de concentrer ses efforts sur ce point pour ne pas perdre un avantage majeur. Bien entendu, c’est un coup de bluff, parce que l’adversaire peut facilement faire face à une offensive sur ce point là. Pendant ce temps, Devout commandera, en personne, la seconde partie de ses troupes en direction de la ville de Tère dans l’objectif de la reprendre. C’est ici que la victoire symbolique doit avoir lieu. Pourtant, cette ville n’a rien de symbolique. C’est la raison pour laquelle Devout sera présent sur le terrain : pour faire croire à l’importance de cette victoire. En outre, il connaît quelques personnes d’influence dans les principaux médias du pays. Il s’arrangera donc pour que les principaux journaux couvrent exclusivement l’offensive de Tère afin d’exagérer son importance.

Après quelques jours de préparation, le général Devout exécuta son plan. L’opération fut un succès. Le premier jour, le coup de bluff eut lieu et, comme prévu, l’armée adverse se concentra vers la zone attaquée. Le jour suivant, la garnison de la ville de Tère était bien moins nombreuse. Devout en profita donc pour attaquer et prendre la ville.

Est-il parvenu à retenir l’attention médiatique sur la bataille de Tère ? Oui : ce fut, là aussi, un véritable succès. Les principaux journaux du pays mettaient en avant, en première page, la victoire obtenue à Tère. Une conférence de presse fut alors organisée avec le général victorieux. Devout évoqua ainsi « la grande victoire obtenue à Tère, d’une importance capitale ». Il expliqua que « l’armée a repris l’initiative », et que désormais « la position stratégique de l’adversaire est affaiblie, assurant alors la proche stabilisation du front ». Suite à cela, un élan d’optimisme traversa la nation. Le Président de la République téléphona à Devout pour le féliciter, contribuant ainsi à la propagande médiatique autour de cette victoire. L’objectif politique fut accomplit : les jours suivants, on constata moins de désertions, des soldats plus motivés, et une hausse de la productivité dans l’industrie.

Néanmoins, le général Devout ne pouvait pas être couvert de gloire trop longtemps. Il avait désobéit, et il le savait très bien. C’est pourquoi le conseil des généraux décida de le limoger. Bien évidemment, on lui proposa un poste en tant que conseiller au sein du ministère de la défense, qu’on présenta comme une promotion, mais ce n’était qu’un moyen de l’écarter du pouvoir militaire. Il accepta, sans broncher, parce qu’il était d’accord avec cette sanction. Pour lui, c’était le prix à payer pour mettre en œuvre son plan. Continuer à siéger au conseil serait entretenir de mauvaises relations en son sein, d’autant plus que quelques généraux n’étaient pas encore convaincus de l’efficacité de cette victoire symbolique sur le long terme.

Quoi qu’il en soit, la stabilisation du front fut obtenue quelques mois après cette histoire. Pouvait-on l’attribuer à l’action de Devout ? Difficile à dire, parce que la seule chose que l’on peut affirmer avec certitude est que, sans lui, les désertions auraient été plus nombreuses et que l’industrie militaire se porterait moins bien. La motivation des troupes est, quant à elle, une donnée non quantifiable, de même que l’optimisme de la nation. Devout a incontestablement contribué à la victoire, mais on ne peut pas savoir si son action a été décisive. Peut-être qu’elle le fût, voire qu’on aurait pu, sans elle, assister à un effondrement moral du pays entier. Mais, cela ne reste que des hypothèses.

Chacun se fera son avis. En tout cas, Devout restera dans la légende comme le vainqueur de la bataille de Tère, tournant symbolique de la guerre à la suite duquel la stabilisation du front eut lieu.

Publié dans Fiction stratégique

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