Réflexions à partir d'une partie d'échecs jouée.

Publié le par Jimoni

Je ne suis pas un grand joueur d'échecs, loin de là. Je n'y joue pas beaucoup. Mais comme j'aime la stratégie, j'y joue parfois. (Bref)

L'été dernier, j'ai joué aux échecs en ligne. Un moment donné, j'ai commencé un match avec un joueur. Ce dernier avait l'air expérimenté : d'après ses informations personnelles figurant sur le site, il jouait en ligne depuis 2011. Il avait plus de 6000 parties à son actif. A priori, c'était un joueur expérimenté, il avait de la bouteille.

Le match commence. On joue quelques coups. Puis, il apparaît clairement que je me fais largement dominer. Comment faire ? Je me rappelle mes leçons de stratégie, et je me dis que comme je suis dans une situation désespérée, je n'ai qu'à être audacieux. C'est ainsi que je pris la décision de ne pas jouer sur le même plan que lui, en usant d'une technique sournoise.

[Pour comprendre la technique, il faut juste préciser un élément. Sur le site d'échecs en ligne, les joueurs ont chacun 20 minutes totales de jeu à utiliser. Néanmoins, lorsque c'est à nous de jouer un coup (lorsque c'est à notre tour), on doit mettre moins de 5 minutes pour jouer le coup. Si on dépasse les 5 minutes pour jouer un coup, on perd, comme on perd si on joue plus de 20 minutes au total]

La technique sournoise est la suivante : je vais attendre 4 minutes et 59 secondes pour jouer mon coup, et ce coup menacera directement sa reine (avec mon cavalier). Le but est le suivant : en laissant bêtement mon temps s'écouler (alors qu'a priori, je n'avais pas besoin de réfléchir beaucoup pour jouer le coup), je veux lui faire croire que j'abandonne. Dès qu'il sera convaincu que j'ai abandonné, il fera autre chose de sa vie : il ira boire un café, sortir son chien, je ne sais pas (bref). Et comme je jouerai finalement pendant le délai de 5 minutes, je ne perdrai pas. Mais si mon adversaire est allé faire autre chose en attendant, son délai de 5 minutes à lui s'écoulera. S'il croît que j'ai abandonné, il ne vérifiera peut-être pas sur ordinateur que c'est à son tour de jouer ou qu'il a gagné. Dès lors, il perdra parce que son temps à lui se sera écoulé. En bref, l'idée est de lui faire croire à mon abandon pour qu'il fasse autre chose en attendant et lui faire dépasser le délai de 5 minutes pour jouer son coup, et ainsi le faire perdre.

J'exécute mon plan. C'est à lui de jouer. Il met du temps à jouer. Mais finalement, au bout de 2 minutes 30 secondes, il joue un coup. Le plan a échoué.

Néanmoins, il a joué un très mauvais coup. Il n'a pas vu que je menaçais sa reine. S'il l'avait vu, il aurait été très simple pour lui d'éliminer mon cavalier. Alors même qu'il avait très bien joué jusque là, il commet une grave erreur. J'en profite alors en tuant sa reine. Mieux encore, je me moque de lui sur le tchat : désormais, le but est de le faire abandonner par rage.

Suite à cela, il tenta de me faire rager en prenant son temps pour jouer tout en me narguant sur le tchat. Puis, il enchaina des coups rapides mais stupides (il ira jusqu'à sacrifier des pions pour rien). De mon côté, j'ai continué de jouer sérieusement, en profitant pleinement de l'avantage décisif que me procurait le fait d'avoir éliminé sa reine. Alors que je dominais désormais la partie, et que j'allais gagner dans 1 ou 2 coups, il abandonna.

Réflexions :

La première réflexion qui me vient d'abord, c'est que je suis un gamin déjà, peut-être mauvais joueur, et manquant clairement de fair-play pour le sûr. Néanmoins, pour ma défense, je rappelle que Nicolas Machiavel nous a enseigné que s'il fallait faire preuve de force pour accomplir ses objectifs, il fallait également user de toutes les ruses efficaces et imaginables. Je n'ai pas à faire preuve de morale, point (tant que c'est dans le cadre d'un jeu bien entendu).

La deuxième réflexion qui me vient est celle de la dimension psychologique. De base, quand on n'est pas machiavélique, on ne se concentre que sur le jeu stricto sensu, sauf quand la dimension psychologique est clairement assumée par les règles du jeu (ex: Monopoly, Poker). Pourtant, le plan psychologique est toujours présent (sauf peut-être contre une intelligence artificielle), et il serait irréaliste de ne pas s'en servir. Un joueur (un stratège) qui ne s'intéresserait qu'à la matière physique est un joueur incomplet : la dimension psychique n'est jamais occultée, même quand on ne souhaite pas la jouer. Lorsqu'on perd un pion, on reçoit une petite pique dans le coeur qui nous perturbe. Lorsque notre adversaire est un vantard, il peut nous énerver, ce qui va nous perturber et altérer notre façon de jouer. On ne peut donc jamais échapper à la dimension psychologique de la stratégie. Alors, deux questions me viennent.

  1. Premièrement, quelle est l'importance de la bataille psychologique dans le résultat du combat ? [ À ce titre, le match d'échecs du siècle, en 1972, entre l'Américain Bobby Fisher et le Russe Boris Spassky est intéressant à étudier et je vous invite à aller vous renseigner (en gros, l'attitude exécrable de Bobby Fisher aurait énervé Spassky, ce qui aurait perturbé le jeu de ce dernier). ]
  2. Deuxièmement, en stratégie des milieux, on parle de maîtrise de l'espace aérien, ou de maîtrise de l'espace maritime. Il y a un concept de maîtrise des millieux auxilliaires au milieu terrestre : on doit maîtriser la mer et l'air pour gagner la guerre terrestre (qui est celle généralement qui nous intéresse le plus -> j'expose là toute cette théorie très grossièrement). Dès lors, s'il existe un milieu psychologique, doit-on obtenir la maîtrise psychologique ? (Je laisse la question en suspens.)

La troisième et dernière réflexion qui me vient est : à quoi tient la victoire finalement ? Dans mon anecdote, ma première ruse ne fonctionne pas. Mais à la fois, il a mis du temps pour rejouer, ce qui signifie qu'il était probablement bien occupé à faire autre chose : pourquoi a-t-il arrêté de faire cette chose ? Le doute ? Le manque d'intérêt pour cette autre chose ? L'envie de rejouer ? À quels éléments tenaient la réussite de cette ruse ? De même, ma deuxième ruse a fonctionné. Mais s'il n'a pas vu la menace de mon cavalier sur sa reine, c'était pourquoi ? Par lassitude de mon jeu lent ? Par imprudence réelle ? Par les deux conjuguées ? La seule chose, peut-être, pour laquelle je suis certain, c'est qu'il a probablement ragé parce que je me suis moqué de lui après avoir tué bêtement sa reine (car on imagine raisonnablement que c'est une source naturelle de colère). Mais il suffisait que je tombe sur une personne plus confiante en elle, plus stoïque, qui se serait moqué intérieurement de mes moqueries, pour que je n'obtienne aucun avantage sur ce point. En soi, mon adversaire était plus expérimenté : en gardant son calme, il aurait très bien pu gagner malgré la perte de sa reine (il a d'ailleurs éliminé mon cavalier juste après, et ses pions étaient très bien positionnées par rapport aux miens). Ainsi, j'ai eu de la chance sur ce point dans le sens où la personnalité qui me faisait face était particulièrement adaptée à la réussite de ma ruse. Ma victoire tenait donc autant à ma stratégie, qu'à la chance. Dès lors, mon interrogation est la suivante : quelle est la part du hasard dans la détermination de la victoire et de la défaite ?

Je vous laisse juger de ces questions.

À très bientôt.

Publié dans Anecdote, Réflexions

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