L'influence du droit de la guerre sur la stratégie militaire : l'exemple des armes chimiques en Syrie.

Publié le par Jimoni

Un titre long pour un article qui va plutôt être court en vérité. Il y a environ deux semaines, l'armée syrienne a été reconnue responsable d'attaques chimiques commises en 2017. L'utilisation des armes chimiques dans la guerre civile syrienne a fait couler beaucoup d'encres, à raison : l'utilisation de ce type d'armes est non seulement horrible, mais c'est également interdit par le droit international. En effet, la Convention sur l'interdiction des armes chimiques compte aujourd'hui 191 États parties, dont la Syrie. De toute manière, même en n'étant pas partie à la convention, tous les États doivent respecter les coutumes de la guerre parmi lesquelles figurent (en gros) les principes de proportionnalité et d'humanité : l'idée est qu'il ne faut pas infliger plus de souffrances que nécessaires à l'accomplissement d'un objectif militaire. Or, par leur nature même, on peut considérer que les armes chimiques, qui tuent comme toute arme mais en occasionnant des souffrances particulièrement graves, sont prohibées.

Cette interdiction a eu, dans le cas syrien, trois conséquences stratégiques me semble-t-il.

Premièrement, cela a permis au régime syrien de terrifier davantage. En effet, dès lors qu'une chose est interdite, le fait d'enfreindre la règle crée des réactions. Cette réaction sociale s'ajoute à la réaction "émotionnelle" due à l'horreur du massacre. Qu'il y ait des morts est toujours injuste, mais encore plus lorsque l'acte de tuer a été fait de manière illégale ou illégitime. Lors de la guerre en Syrie, le but du régime de Bachar Al Assad est probablement de déplacer des populations hostiles au régime. Pour ce faire, l'utilisation de la terreur permet de déplacer ces populations par la fuite. Pour terrifier, il a utilisé des armes chimiques dont l'effet terrifiant a été accru par la médiatisation, qui a pour partie été influencée par le fait que les armes chimiques sont prohibées par le droit international humanitaire. Ainsi, on voit que l'utilisation du droit de la guerre, ici en le violant, sert des intérêts stratégiques.

Deuxièmement, cette réaction sociale à l'illégalité a entrainé une réaction internationale. Dès lors qu'un État commet un grave méfait, les autres États se sentent légitimes à agir contre lui. Dans le cas de la Syrie, dès 2013, Barack Obama avait menacé d'agir contre le régime syrien s'il utilisait une nouvelle fois les armes chimiques. Finalement, il n'a pas agi. Mais on voit là une autre utilisation du droit de la guerre pour la stratégie militaire : je franchis les limites, comment vont réagir mes adversaires ? Violer le droit de la guerre peut permettre de jauger son adversaire. Mais à jouer avec le feu, on risque parfois de se brûler : à cause de ses méfaits, la Syrie a été bombardé par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis en avril 2018. Ces bombardements ne se sont pas révélés décisifs sur le déroulement de la guerre, mais qu'aurait fait la Syrie sans la Russie et l'Iran ? Sans ses alliés, la Syrie aurait très probablement subi une intervention de l'OTAN (mais aurait-elle tenter alors d'enfreindre les règles ?).

Troisièmement, il y a eu assurément une conséquence sur les opinions publiques : l'image du régime d'Assad s'est largement diabolisée dans le reste du monde et à l'intérieur de la Syrie, et le régime tient en partie grâce à la propagande et à la peur (non seulement la peur d'Assad et de ses armes, mais la peur de la prise de pouvoir par des djhadistes en cas de chute du régime). Cela joue indéniablement sur la stratégie : si mon objectif est de conserver mon pouvoir, la manipulation de l'opinion est importante, et si je ne peux pas contrôler l'opinion par ma légitimité, je ne peux le faire que par la peur. Enfreindre le droit de la guerre en utilisant les armes chimiques, c'est être un dirigeant criminel, c'est-à-dire un tyran. Or, l'image du tyran fait peur.

En conclusion :

Le cas de la Guerre civile syrienne nous montre que le droit international a une influence sur le déroulement du conflit, et qu'il peut même être utilisé à des fins stratégiques. Ici, le régime syrien a fait une utilisation négative du droit, en ce sens qu'il s'en est servi en l'enfreignant. Bien entendu, il est en réalité peu probable que la Syrie s'est servie consciemment du fait d'enfreindre les règles pour servir ses intérêts stratégiques (même sans interdiction, l'utilisation des armes chimiques est terrifiante et horrifiante), mais ici nous formulons l'hypothèse que cela a pu influencer malgré tout le déroulement des événements tant à l'avantage qu'au désavantage du régime syrien.

En tout cas, si Bachar Al Assad n'avait de toute façon pas besoin d'enfreindre le droit international pour être un tyran, force est de constater que son régime aurait tombé sans ses alliés parce qu'il aurait fourni à la communauté internationale le casus belli pour intervenir.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article