La stratégie militaire appliquée aux jeux de stratégie.

Publié le par Jimoni

Je ne prétends pas que la stratégie militaire puisse être transposée à toute activité humaine. Je ne le pense pas. Néanmoins, je pense que la stratégie militaire est plus qu’une réflexion sur la guerre et le conflit. C'est également plus largement une réflexion sur la confrontation. Or, nous avons été, nous sommes, et nous serons confrontés à des adversaires toute notre vie. Ces adversaires, on les rencontre dans les domaines les plus divers : sport, travail, jeu, etc. C’est pourquoi, si la transposition est hasardeuse, l’inspiration reste pertinente : parce qu'elle est source d'idées nouvelles et que l'esprit humain va naturellement établir des analogies. C'est d'ailleurs en partie pour cela que j’ai créé ce blog. Quiconque voudrait apprendre la stratégie militaire en verra un intérêt pour sa culture personnelle et son développement.

Mais ici, je ne vais pas me cantonner à des analogies. Je vais tenter de transposer la stratégie militaire à un domaine particulier en présentant les possibilités et les limites de cette transposition. Et comme l’indique le titre, cette tentative concerne les jeux de stratégie.

POSSIBILITÉS :

Partons tout d’abord des définitions. La stratégie militaire est très bien définie par André Beaufre qui écrit dans son « Introduction à la stratégie » que la stratégie est : « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit. ».

Quant à nous, nous allons définir les jeux de stratégie comme des jeux dans lesquelles au moins deux joueurs tentent de réaliser un objectif au détriment de l’autre en utilisant des moyens coercitifs. Ainsi, les deux joueurs sont en situation de conflit.

En comparant les deux définitions, nous voyons des similitudes entre les deux définitions. La première d’entre elle est l’idée de dialectique des volontés et de conflit. On voit que dans un jeu de stratégie, il y a un conflit qui résulte de la volonté d’atteindre chacun un objectif au détriment de l’autre. C’est une dialectique puisqu’il est nécessaire qu’il y ait au moins deux protagonistes. Sans adversaire, il n’y a pas de conflit.

En outre, ce conflit est violent puisqu’on y emploie la force. Dans la réalité, on blesse ou on tue son adversaire pour le contraindre. Dans le jeu de stratégie, cette violence est simulée, imagée. Mais le résultat est le même que dans la réalité : on a des moyens coercitifs utilisés par chacun des protagonistes qui détruisent les moyens de l’autre pour atteindre leur objectif.

C’est ainsi que, dans la pratique, des principes stratégiques comme celui de la concentration peuvent être utilisés dans les jeux de stratégie. De plus, comme c’est une dialectique de volontés, elle peut être « attaquée » par l’usage de manœuvres psychologiques comme l’effet de surprise (à moins que l'un des deux joueurs soit une I.A). On voit donc que la transposition de la stratégie militaire dans les jeux de stratégie n’est pas sans intérêt.

LIMITES :

Toutefois, les limites à cette transposition sont nombreuses. Bien qu’en s’en tenant aux définitions les jeux de stratégie semblent être une excellente reproduction du théâtre de guerre, des différences subsistent au niveau pratique.

Ces différences reposent notamment sur le concept clausewitzien de « friction » (déjà rapidement traité ici). La friction correspond à toutes les difficultés rencontrées par le stratège qui rendent l’acte de guerre difficile. Elle est composée de différents éléments : le danger, l’effort physique et le brouillard de guerre.

Concernant le danger, la guerre est strictement différente des jeux de stratégie. Lorsqu’on joue à un jeu de stratégie, on est assis confortablement sur une chaise pendant quelques heures au maximum ou deux minutes au minimum. La défaite n’a de conséquences que pour notre égo. Avec des enjeux financiers, peut-être que le jeu de stratégie aura des conséquences plus considérables sur notre train de vie. Mais, le danger du jeu de stratégie ne sera jamais aussi grand que celui de la guerre où les enjeux sont bien plus grands. Premièrement, la guerre a une portée politique. Perdre une guerre, c’est changer le destin d’une nation. Des milliards d’euros, de dollars ou de roubles dépensés pour rien. Pire encore : des milliers de mort. Le général qui doit gérer une telle situation est constamment stressé. Il ressent de la peur, de la colère, du désespoir : il est constamment déstabilisé. Élaborer des stratégies dans de telles conditions n’a rien à voir avec les conditions d’un joueur. Le général, lui, craint chacune de ses décisions.

Mais le pire dans la guerre, c'est la mort. Et c’est la différence principale : la guerre tue, pas le jeu de stratégie. Et cela change tout, notamment pour les personnes qui sont sur le terrain. L’officier qui va diriger ses hommes en plein milieu du feu voit devant lui ses soldats mourir, des amis, et lui-même risque pour sa vie. Cela altère très fortement ses prises de décision. Il ressent toutes sortes d’émotions négatives au quintuple de la normale. C’est pourquoi, contrairement au jeu de stratégie, la plupart des batailles dans l’histoire militaire se sont terminées par la déroute d’un belligérant. Cette déroute est provoquée par ce que les stratégistes appellent « la terreur-panique ». Les soldats, pensant être pris au piège, fuient de façon désordonnés. L’ennemi en profite alors pour les poursuivre et les achever.

Cet aspect émotionnel, qui différencie nettement le jeu de stratégie qui est plus rationnel que la guerre, est, comme vous le voyez, la conséquence du danger dans la guerre. Et cette pression exercée à l’hypothalamus provoque des réactions diverses et variées : panique, choc post-traumatique, folie, etc. En outre, l’effort physique est également présent à la guerre et provoque des blessures, des fatigues, des morts prématurés, etc.

Maîtriser une guerre n’est absolument pas maîtriser un jeu simulant la guerre. Aucune simulation ne prétend d'ailleurs reproduire exactement la réalité (sinon, serait-ce encore une simulation ?). En parlant de maîtrise, le chef de guerre fait face aussi à deux autres éléments déterminants dans sa prise de décision.

Premier élément, les problèmes internes. Lorsque vous faîtes un jeu de stratégie, il arrive parfois que le niveau tactique soit géré aléatoirement. Il arrive que des événements augmentent ou diminuent vos ressources. On cherche ici à simuler les problèmes internes. Sauf que la réalité est encore une fois plus complexe parce qu'elle ne se résume pas à prendre en compte les effets de ces problèmes, mais bel et bien à savoir les gérer. Un général doit par exemple devenir maître des manœuvres politiciennes. Les politiques le contraignent en effet de différentes manières. Par exemple, si une défense flexible est préférée par les généraux et la science stratégique, elle est difficilement acceptable pour le chef d’État pour qui l'abandon d'une partie du territoire est trop grave. Mais si le général est contraint par le dessus, il est également contraint par le dessous. Il doit véritablement être un manager et gérer ses équipes. Ses subordonnés, bien que disciplinés, ont de multiples demandes : plus d’approvisionnements, plus de moyens pour tel secteur, etc. Dans le pire des cas, des mutineries peuvent arriver. Bref, la réalité du général est constituée d’événements plus nombreux et complexes que ceux créés dans un jeu de stratégie. En outre, la nature humaine est plus imprévisible que la survenance d'événements aléatoires dans un jeu.

Deuxième élément : le brouillard de guerre. Il est vrai que les jeux de stratégie parviennent à créer le brouillard de guerre en rendant les informations imparfaites et incomplètes. Encore une fois, la différence avec la guerre est la complexité. Dans un jeu de stratégie, des unités de reconnaissance peuvent vous indiquer que telles unités ennemies sont présentes à tel endroit. Souvent, les choses se déroulent de façon régulière. À la guerre, dix personnes que vous avez envoyé pour la même mission de reconnaissance peuvent vous dire sept interprétations différentes des événements sachant que, parmi eux, vous savez très bien qu’il y a trois imbéciles, deux personnes compétentes, et cinq autres dont vous ne savez pas grand-chose. D’ailleurs, connaître et avoir confiance en ses collègues sont encore des éléments de différence entre la guerre et le jeu de stratégie. Dans un jeu de stratégie, vous connaissez vos moyens et vos unités, et ils agiront souvent de la même manière à chaque partie. Dans les jeux où l’on joue à plusieurs, comme League of Legends, vous n’êtes que cinq et vous avez de grandes chances de connaître ceux avec qui vous jouez. Dans la guerre, vous avez une multitude de collègues que vous connaissez plus ou moins bien et en qui vous ne pouvez pas avoir une confiance totale. C’est donc bien la complexité de la réalité qui fait la différence.

Enfin, il y a un dernier élément à ajouter. Si chaque partie d’un jeu de stratégie est différente, le nombre d'éléments constants est relativement élevé par rapport à la guerre. Les guerres sont en constante évolution. Les armes, les doctrines, les contextes politiques diffèrent d’une guerre à l’autre. C’est pourquoi la guerre est plus imprévisible que le jeu et qu’il est sûrement plus difficile d’être un bon stratège qu’un bon joueur de stratégie.

CONCLUSION :

Pour toutes les raisons précédentes, nous avons vu que la transposition de la stratégie militaire aux jeux de stratégie a des limites pratiques. Toutefois, n’oublions pas que les jeux de stratégie imitent plus ou moins bien la guerre et qu’ils parviennent tout de même à rentrer dans le cadre donné par la définition de la stratégie (en tout cas, celle que nous donnons). C’est pourquoi, si la transposition est limitée, elle n’est pas totalement absente et dépend en partie du jeu de stratégie auquel on a affaire. Mais les faibles perspectives de transposition ne doivent pas interdire la possibilité de s'inspirer pleinement des stratégies militaires.

Publié dans Réflexions

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