Pourquoi il ne faut pas planifier ? Clausewitz et la friction.

Publié le par Jimoni

 Arrêtez de planifier ! Du moins, ne soyez pas trop rigide. En effet, la guerre est l'endroit où le prévu se mêle à l'imprévu. La stratégie est un art, une discipline de l'action et de la réaction. La stratégie ne peut pas être scientifique : tout est affaire de circonstances, c'est pourquoi il n'y existe pas de loi, seulement quelques principes à respecter pour se débrouiller. Clairement, la stratégie est l'art de la débrouille. Mais quelle est la cause de cette difficulté à planifier ? Carl von Clausewitz répond à cette question. Il l'explique par un phénomène propre à la guerre : la friction.

 

 

 

 

 

Carl von Clausewitz est un militaire prussien né en 1780 et mort en 1831. Fortement marqué par la période napoléonienne qu'il a directement vécu, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les campagnes napoléoniennes. Il est également un grand théoricien militaire. Son ouvrage "De la Guerre", inachevé, mais publié après sa mort par sa femme, est étudié par les stratèges du monde entier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans son célèbre ouvrage nommé « De la guerre », Clausewitz conceptualise la « friction ». Il définit la friction comme « tout ce qui rend difficile ce qu’on imagine facile », ou encore comme « ce qui rend l’acte de guerre plus difficile ». Ainsi, la friction correspond à toutes les difficultés qu’on rencontre et qui nous empêche d’exercer pleinement notre volonté, c’est-à-dire de prévoir avec certitude nos futures actions.

 

Il tient ce concept de la pratique de la guerre. Pour lui, la friction est même précisément ce qui distingue la guerre telle qu’on peut la concevoir (la guerre dans l'absolu), avec la guerre réelle. S’il fonde son concept sur la pratique de la guerre, il distingue trois causes de la friction dans trois chapitres précédents celui sur la friction :

  1. Le danger de la guerre. La guerre est un lieu à grand enjeu puisqu’on y risque sa vie. On y voit des amis mourir. La conséquence du danger est l’altération de nos prises de décision par tout ce que le danger engendre psychologiquement : peur, colère, etc.

  2. L’effort physique dans la guerre. Précédemment, on aurait presque pu parler d’effort mental de la guerre. Ici, c’est la fatigue physique. Cette fatigue, qui est une donnée incalculable mais dont l'importance n'est pas négligeable, risque aussi d'altérer les plans prévus.

  3. Le brouillard de guerre. C’est sûrement la cause la plus importante de la friction. Le brouillard de guerre signifie que de multiples informations altèrent notre jugement : les vraies informations, les fausses, les incertaines, les incomplètes, l’absence d’information ou sa trop grande quantité, etc. Comment planifier dans ces conditions ?

 

Vu la large définition qu’il donne à la friction, Clausewitz n’a pas voulu fournir une liste exhaustive, mais juste trois causes qu’il tenait à souligner. En effet, nous pourrions par exemple ajouter à ces causes tous les événements imprévisibles, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs au conflit. Ou encore, le non-respect des ordres par vos camarades.

 

Pour nourrir votre réflexion, et conformément à ce que tente de faire Clausewitz dans son livre, il me semble important de faire une illustration de l’importance de la friction.

 

 

ILLUSTRATION :

 

 

Imaginez que vous soyez le Président de la République française. La France est en guerre contre l’Espagne. Cela ne devrait pas poser de difficultés : l’armée française est nettement plus forte, d’autant plus que l’économie espagnole se porte mal. La raison de cette guerre est que vous voulez rattacher la catalogne à la République. En effet, divers sondages ont montré que les catalans étaient nettement favorables à ce rattachement. Pour accomplir cet objectif, il ne faudra pas faire de mal aux Catalans. Ainsi, vous demandez à votre armée de prendre Barcelone en douceur. Vous sécurisez constamment l’arrière de votre armée, puis vos soldats repoussent les Espagnols de la région catalane et marchent sur Barcelone. 200 kilomètres ont été parcourus par vos soldats en 4 jours. Malheureusement, un groupe paramilitaire catalan prend en embuscade quelques-uns de vos soldats, les massacrent, et diffusent les photos des cadavres de vos malheureux soldats sur internet. Cela provoque la rage de l’ensemble de votre armée. Si la plupart de vos soldats obéissent aux ordres et ne font pas acte de vengeance, une petite partie décide de venger les leurs. À leur tour, des catalans, civils, se font sauvagement massacrer. Alors que la population catalane était, a priori, favorable à une annexion française ; désormais, tous les catalans haïssent les Français.

Mais ce n’est pas tout. Des groupes paramilitaires basques ont subitement frayé un chemin à travers les pays basques à une partie de l’armée Espagnole que vos services de renseignement ne sont pas parvenus à détecter. Rapidement, le sud de la France se fait envahir. Vous demandez alors à votre armée en Catalogne de faire machine arrière. Mais, fatigués par les premiers jours de guerre, vos soldats, bien qu’enthousiastes, sont plus lents. Fatigués, ils manquent aussi de vigilance : les guérillas catalanes ralentissent votre armée et tuent vos soldats.

Finalement arrivée à la frontière, votre armée, désorganisée et épuisée, se fait massacrer par l’armée espagnole moins nombreuse mais plus solide.

 

Alors qu’il paraissait facile d’annexer la Catalogne parce que sa population vous était favorable, et que l’Espagne n’avait pas la force de s’y opposer, la friction vous a été fatale. La souffrance psychologique et physique de vos soldats, ainsi qu’un manque d’informations, ont eu raison de vos plans.

 

 

CONCLUSION :

 

 

Pour conclure, sachez que planifier n’est pas mauvais en soi. Mais il est mauvais de ne pas être flexible. C'est-à-dire qu'il est mauvais d’adopter une stratégie rigide, qui ne peut pas s’adapter, ou de ne compter que sur une seule solution. L’existence de la friction implique plusieurs principes à prendre en compte pour l’élaboration d’une stratégie.

  • Premièrement, il faut être prudent, pour éviter les erreurs d’inattention.
  • Deuxièmement, il faut être courageux, parce que l’existence d’imprévus ne doit pas conduire à l’inaction.

 

Disons que s'il ne faut pas planifier, il faut prévoir et se prémunir du hasard. Et, dans tous les cas, il faut agir pour être réactif aux changements de circonstances. Autrement dit, la planification ne doit pas compromettre l’adaptation aux circonstances.

  

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