La ruse.

Publié le par Jimoni

Imaginez. Vous marchez dans une ruelle étroite. Soudain, 3 personnes vous abordent. Elles vous menacent d'être violent envers vous si vous ne leur passer tout ce que vous avez sur vous. Conscient que vous ne pouvez pas les affronter, et comme vous ne voulez pas leur donner ce que vous avez, vous prenez la décision de vous retourner pour fuir. Mais manque de chance, 3 autres personnes complices des premières étaient derrière vous. Eh oui, vous êtes encerclés, vous n'avez aucune porte de sortie possible et les affronter serait masochiste. Du coup, ils ne vous restent plus beaucoup d'options. Vous pouvez capituler et leur donner ce que vous avez, au moins ça vous évitera de passer un mauvais quart d'heure. Mais vous avez votre honneur et vous n'allez pas vous laisser faire ! Eh oui, qui sait, avec un peu d'ingéniosité, de créativité, d'habilité et d'intelligence, vous êtes sûr ( et vous avez raison ) que vous avez la possibilité de trouver un stratagème qui a les chances de marcher pour vous sortir de cette situation. Il va falloir réfléchir vite et trouver une manœuvre habile qui va subjuguer vos 6 adversaires pour vous créer une porte de sortie. En bref, votre seule solution si vous ne voulez pas capituler va être de ruser.

Dans l'histoire militaire, nombre de stratèges se sont trouvés dans la même situation. Cette situation où votre infériorité numérique et votre position stratégique ou tactique défavorable ne peuvent vous garantir que la défaite. À moins de ruser, de pousser l'adversaire à commettre une erreur grossière en le subjuguant. En fait, la ruse s'applique et s'est historiquement appliquée lorsque celui qui l'a utilisé était en danger. En effet, comme nous l'avons vu avec notre accroche, dans une situation très désespérée il ne reste vraiment plus qu'à miser sur une manœuvre habile mais toutefois hasardeuse. Hasardeuse car l'adversaire peut très bien avoir un sang-froid et répondre efficacement à votre tentative de le subjuguer. Mais la prise de risque est essentielle pour se créer des opportunités, avant tout l'audace est l'une des qualités principales d'un stratège. Mais il serait faux de croire que la ruse ne s'applique que dans ce type de situation, c'est-à-dire lorsqu'on est sur la défensive. Comme nous l'avons plus ou moins dit, la ruse repose sur l'audace pour créer des opportunités. Or, lorsque vous êtes en position offensive mais que la défense de l'adversaire est particulièrement rôdée, la ruse peut être utile pour "contourner" son système défensif en le déstabilisant. Notamment, c'est ce que les Alliés ont fait au Troisième Reich lorsqu'ils ont voulu débarquer en France. Par une succession de ruse, ils ont semé le doute chez l'état-major allemand et Hitler sur la question de savoir où est-ce qu'ils voulaient débarquer. Ainsi, le Jour J, les alliés ont pu débarquer avec plus de facilité qu'ils n'auraient eu s'ils n'avaient pas rusé. En résumé, la ruse est une manœuvre habile et audacieuse destinée à subjuguer l'adversaire pour se créer des opportunités. Voilà comme on peut définir la ruse.

Aussi, il serait intéressant d'illustrer cet article par un exemple puisque les ruses ont traversé l'Histoire militaire du Cheval de Troie jusqu'à l'actualité stratégique d'aujourd'hui. Par ailleurs, des stratégistes, c'est-à-dire ceux qui pensent la guerre mais qui ne la font pas forcément, ont réfléchi sur cette notion de ruse en la recommandant ou non.

 

Un exemple de ruse dans l'Histoire :

Je serais bien tenté de vous parler une nouvelle fois d'Hannibal, qui excellait dans l'art de la ruse, mais je pense qu'il serait temps de changer un peu. Du coup je vais vous parler d'Henri IV en premier. Voici le petit récit de la Bataille de Fontaine-Française.

En 1595, la Ligue Catholique dirigée par l'Espagne était en guerre contre le Royaume de France sous Henri IV. Alors qu'il manœuvrait tranquillement son armée près de Fontaine-Française, commune qui se situe en Bourgogne, l'armée espagnole les attaqua par surprise, mais Henri IV put les repousser temporairement grâce à sa cavalerie. Henri IV ne disposait que de 3000 soldats contre au moins 12.000 soldats espagnols en face. Pourtant, Henri IV ne pouvait se résoudre à baisser les bras : il en coûtait de l'honneur mais aussi de la souveraineté du Royaume de France ! Il décida donc de recruter les paysans des alentours armés de leur faux. Ensuite, il fit monter sa petite armée de soldat-paysan sur une colline et les fit manœuvrer pour donner l'impression d'avoir une armée plus grande qu'en réalité notamment en faisant briller au soleil les faux des paysans recrutés. Juan Fernandez de Velasco, connétable de Castille, ne pouvait croire qu'Henri IV ne disposait que de 3000 soldats. Les manœuvres d'Henri IV sur la colline lui fit même croire qu'il disposait de moins de troupes que le Roi de France. Ainsi, il jugea plus prudent de se retirer. Henri IV avait alors réussi à retourner la situation à son avantage par une ruse très audacieuse. Le plus surprenant dans cette bataille, c'est qu'elle fut décisive. Elle permit de signer le traité de paix entre la Ligue Catholique et le Royaume de France. Par cette ruse faite à l'échelle tactique, plus que faire briller des faux, il fit briller la France sur le continent européen. Comme quoi, rien n'est jamais véritablement perdu d'avance.

Maintenant que la puissance d'une ruse vous saute aux yeux, même si je suis certain que vous pensiez déjà que les ruses étaient particulièrement efficaces, je vais vous montrer que les auteurs  sont partagés sur la question de son utilisation, et notamment les deux principaux que sont Sun Tzu et Clausewitz même si ici je vais plus vous parler de généralités puisque je pense que la divergence entre Sun Tzu et Clausewitz devrait faire l'objet d'un article entier.

 

Que pensent les stratégistes de la ruse ?

Rentrons dans le vif du sujet. Si Sun Tzu pense que pour gagner une guerre il faut constamment ruser et user de stratagèmes pour subjuguer l'adversaire avant de le vaincre, Clausewitz pense au contraire que la ruse ne peut être utilisé qu'exceptionnellement voire que la ruse est inutile et dangereuse. Du coup, je ne compte pas détailler leur pensée dans cet article mais dans un autre qui suivra. Mais rapidement, nous pouvons dire que Sun Tzu préconise, comme Liddell Hart d'ailleurs, l'utilisation systématique de la ruse pour subjuguer l'adversaire avant de le vaincre et ainsi limiter les pertes humaines inutiles. Quant à Clausewitz, il pense que la ruse ne peut être utile que lors d'une situation désespérée et que bien souvent le risque pris par la ruse est trop grand, notamment à cause du brouillard de guerre, pour qu'elle puisse être envisagée. Voilà ce que nous pouvions dire rapidement sur la pensée de ces auteurs.

Par ailleurs, nous savons que le Strategikon, qui est un livre d'un empereur byzantin, préconise aussi l'utilisation de la ruse. En effet, la doctrine militaire byzantine était fondée sur les ruses et les stratagèmes. Mais en fait, cette recommandation existe depuis la Grèce Antique. Puisque les Grecs de l'antiquité avaient un mot bien à eux pour décrire ce type d'intelligence qui fait que nous soyons rusés, et ce mot est la mètis qui signifie littéralement l'intelligence rusée. Pour eux ce n'était pas qu'un concept militaire, même si des généraux comme Hannibal se sont vus enseigner la mètis, c'était un mot qui désignait un type d'intelligence. Parce qu'en effet, si la ruse s'applique en stratégie, en vérité il s'applique à presque tous les domaines : sport, commerce, jeu, art en tous genres. C'est pourquoi il me semblait intéressant d'évoquer ce sujet, car la ruse a un vaste champ d'application.

C'est donc la fin de cet article. J'espère que vous l'avez apprécié. Je songe donc à faire un prochain article sur la confrontation de la pensée de Clausewitz et de Sun Tzu concernant l'utilisation de la ruse. Mais aussi, m'étant intéressé un temps au concept de mètis chez les grecs de l'antiquité, je pense aussi faire un autre article sur ce sujet qui est intéressant à développer.

À la revoyure !

 

 

Publié dans Réflexions

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