Louis XI - L'art de vaincre sans combat

Publié le par Jimoni / Passion Stratégie

En 1475, Louis XI de France était à la tête d’un Royaume dont la situation géopolitique était précaire. En effet, les derniers combats de la Guerre de Cent ans ne dataient seulement que d’une vingtaine d’années. Puis, le Duché de Bourgogne et le Royaume d’Angleterre préparaient une invasion contre le Royaume de France et son allié suisse.

Alors que le roi d’Angleterre, Édouard IV, débarquait à Calais avec son armée, les aléas de la guerre commencèrent déjà à lui poser du souci. Déjà, les soldats anglais rencontraient quelques difficultés d’approvisionnement en vivres. Surtout, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, vassal, ennemi et cousin de Louis XI, ne suivait pas véritablement à la lettre le marché convenu avec Édouard IV. Les armées anglaises et bourguignonnes devaient, de base, se réunir afin de marcher ensemble contre l’armée française. Mais Charles le Téméraire a préféré envoyer son armée vers le Rhin, la Lorraine et les cantons suisses.

Louis XI avait connaissance de ces informations par l’intermédiaire de ses agents. De son point de vue, ces aléas constituaient une grande opportunité. Il eut l’idée suivante : plutôt que d’affronter l’Angleterre dans une guerre coûteuse en argent, pourquoi ne pas conclure une paix directement au même coût ? Il proposa à Édouard IV une grosse somme d’argent et une pension annuelle en l’échange de son renoncement à la guerre et à son alliance avec le Duché de Bourgogne. Cette offre était vraiment coûteuse. Pour honorer la promesse de son roi, le Royaume de France n’avait d’autre choix que de contracter des emprunts. Toutefois, d’un autre côté, une guerre lui aurait peut-être autant coûter. Édouard IV accepta facilement l’offre et repartit en Angleterre. C’était un accord gagnant-gagnant sur tous les points. Édouard IV obtint un tribut du Royaume de France. Quant à Louis XI, il se débarrassait d’un ennemi d’envergure, avec lequel, finalement, il améliora ses relations. Du même coup, en outre, il isolait diplomatiquement Charles le Téméraire. Puis, au niveau de la politique intérieure, l’honneur était de toute façon sauvé : le Roi d’Angleterre est le vassal du Roi de France, il était donc normal que ce dernier « entretienne » par une pension annuelle son protégé. (Cet accord passé entre Édouard IV et Louis XI se nomme le Traité de Picquigny.)

Il ne restait alors plus que la question bourguignonne. Afin de régler cette dernière, Louis XI n’allait pas s’arrêter en si bon chemin et allait pousser ses talents machiavéliques encore plus loin. Cette même année, peu de temps après le Traité de Picquigny, Louis XI proposa une trêve à Charles le Téméraire. Ce dernier accepta volontiers puisque, a priori, cela l’arrangeait bien : il allait pouvoir consacrer son armée exclusivement à l’invasion des cantons suisses, sans se préoccuper d’une quelconque menace française. Les Suisses allaient donc devoir continuer la lutte contre l’envahisseur bourguignon, tous seuls. (Enfin, pas tout à fait, il y avait aussi les Lorrains ; puis, Louis XI avait financé des cantons suisses afin qu’ils envahissent le pays de Vaud — mais bref.)

C’est ainsi que Charles le Téméraire lutta de façon… téméraire contre les Suisses. Mais il ne fit que subir défaites sur défaites, jusqu’à son ultime défaite lors de la Bataille de Nancy le 5 janvier 1477, durant laquelle il perdit la vie. Par sa mort, le Roi de France acquit plusieurs comtés et agrandit son territoire, rétablissant son autorité sur les terres trop indépendantes d’un vassal, autrefois, trop indépendant.

Finalement, c'est en achetant la paix avec l’Angleterre, et en abandonnant ses propres alliés dont il se servit pour se débarrasser d’un ennemi, que Louis XI était parvenu à repousser une invasion d’envergure et a annexé des territoires sans perdre un seul homme, sans jamais se battre. Un exploit.

La leçon d'histoire : La politique est la continuation de la guerre par d'autres moyens.

 

Clausewitz disait que la guerre était la continuation de la politique par d’autres moyens. Par là, il voulait signifier que la guerre répond à un objectif politique. Si j’envoie mon armée pour détruire l’armée ennemie et contrôler tel territoire, c’est parce que nous voulons l’annexer car c’est notre projet politique. Mais d’une certaine façon, l’inverse est également vraie. La politique permet également de gagner la guerre et de faire la guerre d’une autre façon. Lorsqu’un pays fait appel à un pays allié, ou cherche par la diplomatie des alliés, pour faire face à un pays ennemi qui tente de l’envahir, sa manœuvre diplomatique est une manœuvre stratégique en ce sens qu’elle lui permet de maximiser ses chances de vaincre. Ici, Louis XI, par la signature du traité de Picquigny, et par l’abandon de son allié suisse suite à la trêve conclue avec Charles le Téméraire, a réussi à créer les conditions propices à sa victoire finale qui s’est concrétisée par la mort de son ennemi et l’annexion de ses terres. J’ai toujours trouvé cette histoire remarquable et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime, parfois, parler de stratégie au-delà de sa connotation militaire. Louis XI est un stratège, il n’y a pas de doute là-dessus. Ce n’est toutefois pas un chef d’armée et il n’est donc pas un stratège militaire. Louis XI, c’est un grand stratège politique. C’est un stratège au sens machiavélien.

Je terminerai par ceci. Sun Tzu disait que l’art suprême de la guerre était de vaincre sans combat. Louis XI l’a fait. Dans un article précédent, je m’étais interrogé sur les critères qui permettraient de déterminer qui est le meilleur stratège de l’histoire. Entre autres, je m’étais dit qu’on pourrait classer les stratèges selon le plus grand exploit de leur carrière (en effet, certains stratèges ont connu de nombreuses défaites ; mais, doit-on les juger à leur carrière, ou au plus grand exploit de leur carrière ?). Si l’on retient ce critère, Louis XI ne mériterait-il pas de figurer en haut du classement ? Dites-moi ce que vous en pensez. À très bientôt.

Publié dans Leçon d'Histoire

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