La ligne fortifiée et ses problèmes.

Publié le par Jimoni

Les murs ont un effet rassurant sur l'Homme. Destinés à les protéger, ils ont contribué à pouvoir vivre paisiblement. D'abord, les simples mûrs des maisons ont protégé l'Homme des intempéries, des inconnus, des animaux, etc. Puis, les remparts ont permis aux villes de tenir à l'écart des puissantes armées, et certains sièges ont duré des années sans résultat.

Plus tard, les Hommes ont vu plus gros. Certains Etats ont tenté de protéger l'intégralité de leur territoire en construisant des murailles. Néanmoins, une telle tâche est très coûteuse et, le plus souvent, ces murailles n'intégraient pas tout le territoire et étaient dirigées vers un endroit qui présentait des risques pour le pays. C'est ainsi que l'Empire Romain construisit les Murs d'Hadrien et d'Antonin pour se protéger des barbares venus d'Ecosse. Plus récemment, bien que cela ne soit pas un mur mais une ligne fortifiée (la fonction reste la même), la France avait construit la ligne Maginot pour se protéger d'une éventuelle invasion allemande. Mais, si à une petite échelle, les murs peuvent se révéler utile. À l'échelle d'un Etat, il est plus difficile d'assurer l'accomplissement de l'objectif voulu : la protection du territoire. Et cette difficulté s'accroît à mesure que l'Etat est grand. Bref, nous allons révéler ici les soucis que posent de telles lignes fortifiées.

LE COÛT :

Le premier soucis de telles constructions est qu'elles sont coûteuses. Tout d'abord, la construction en elle-même demande beaucoup de temps, d'argent, et de facteurs humains. Par exemple, les grandes murailles de Chine ont mis des siècles à se construire, ont demandé un effort industriel dense (des fouilles archéologiques révèlent que les régions proches des murailles ont accru de manière considérable leur production industrielle), et ont demandé surtout le travail de centaines de milliers d'ouvriers à chaque fois.

Ensuite, les coûts d'entretiens s'ajoutent. Il faut entretenir les fortifications qui subissent la météo et les catastrophes climatiques.

Enfin, les lignes fortifiées ne servent à rien si elles ne sont pas gardées par des hommes. Il faut, en effet, entretenir une grande armée pour contrôler l'ensemble de la ligne fortifiée, pour la défendre, et pour informer des mouvements de l'armée ennemie.

Ainsi, les coûts initiaux sont suivis par des coûts très lourds sur le long terme. Ces coûts ne peuvent pas toujours être assurés par l'Etat, notamment en cas de crises internes (économiques, politiques, etc.). Le pire, c'est qu'il n'est même pas que ce soit là de bons investissements...

LE PROBLÈME DE LA LONGUEUR :

Il existe en effet un deuxième soucis qui remet en cause l'efficacité de la ligne fortifiée. Ce soucis a pour origine la longueur de la ligne. Carl von Clausewitz pointait du doigt ce paradoxe. Une ligne fortifiée trop courte est inutile parce que l'ennemi n'a qu'à la contourner. À l'inverse, une ligne fortifiée trop longue est vulnérable parce que l'ennemi peut concentrer ses forces en un seul endroit pour percer la ligne (une longue ligne est synonyme de forces dispersées). Ainsi, la ligne est inutile car son objectif de départ (protéger le territoire) n'est pas accomplit. Ce paradoxe se vérifie par la lecture historique. Prenons les exemples de la ligne Maginot et de la Muraille de Chine. La ligne Maginot, qui était longue mais qui ne se prolongeait pas à la frontière belge et aux Ardennes, a été contournée par l'armée allemande. Quant à la Muraille de Chine, elle fut incapable de repousser les invasions mongoles au XIIIe siècle, et la percée mandchoue au XVIIe siècle.

Mais cette défaillance des lignes fortifiées ne se vérifie pas dans certains cas. En effet, une ligne courte peut trouver toute son efficacité si on ne peut pas la contourner, ou si elle est difficile à contourner. Par exemple, les Murs d'Hadrien et d'Antonin sont relativement courts et sont difficiles à contourner car on ne peut le faire que par la mer. Sachant que les Romains ne faisaient pas face à un Etat unifié mais à de multiples peuples, les Murs ont été relativement efficaces (le Mur d'Hadrien a tenu, mais Antonin n'a pas résisté aux pressions barbares). 

Pour les lignes longues, certes elles ne peuvent pas arrêter une armée qui décide de percer la ligne, mais elles sont efficaces face aux petites incursions. Les multiples garnisons stationnées sur toute la longueur de la ligne parviennent à arrêter les petits groupes armés. C'est ainsi que la Muraille de Chine a permis d'arrêter les pillages mongols que subissait le nord de la Chine. Il n'en reste pas moins que, dans le cas de la Grande Muraille, l'objectif principal était de protéger le pays en cas d'invasion, or, seules les petites incursions ont pu être arrêtées.

Je vous ai fait rapidement une petite illustration de toute ce que nous avons dit. Les lignes noires correspondent aux lignes fortifiées. Les lignes rouges aux offensives (petites attaques lorsqu'elles sont entrecoupées). La croix signifie que l'offensive échoue, le coche signifie que l'attaque réussie.

Les lignes fortifiées sont donc coûteuses, relativement peu efficaces, mais elles posent aussi un autre problème au niveau stratégique.

DEFENSE RIGIDE :

On l'a déjà dit, la ligne fortifiée comporte de petites garnisons sur toute sa longueur qui, ensemble, forment une immense armée. Ces forces avaient déjà l'inconvénient d'être dispersées, mais elles ont un autre inconvénient. Tenues de tenir leur position, elles restent stationnées à un endroit, alors qu'elles pourraient être utilisées plus judicieusement. En d'autres termes, il est très difficile pour elles de s'adapter à l'invasion. Regarder l'invasion allemande de 1940, les forces stationnées dans la Ligne Maginot n'ont servi à rien alors qu'elles auraient pu être utilisées au moment décisif pour empêcher l'encerclement des armées française et britannique au nord. Les lignes fortifiées coûtent chères, mais elles posent aussi un problème de coût d'opportunité

De plus, l'avantage de la ligne fortifiée, c'est-à-dire la fortification en elle-même qui permet de soutenir la défense, ne permet pas de profiter des avantages naturels de la défensive sur l'offensive. Nous en parlerons une autre fois, mais citons-en quelques-uns. Tout d'abord, le ravitaillement est plus difficile pour l'attaquant qui, bien souvent, est obligé de se servir de lignes de ravitaillement. D'ailleurs, au fur et à mesure de l'avance, les lignes de ravitaillement sont de plus en plus vulnérables car elles deviennent plus longues et parce qu'ils font face à une population généralement hostile (autre avantage de la défensive). Nous n'avons pas besoin de citer plus d'avantages puisque nous venons à ce que nous voulions dire. La ligne fortifiée empêche le recul. Or, plus nous reculons, plus l'ennemi s'avance, et plus les forces ennemies s'affaiblissent du fait de son avancée ; surtout si le défenseur mène une stratégie d'harcèlement et de terres brûlées. Ne jamais oublier qu'une défense souple est en général plus avantageuse, le principe d'adaptation est affirmée depuis Sun Tzu.

 

 

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