Bien définir son objectif stratégique : réflexions et conseil.

Publié le par Jimoni

Le but de la stratégie est d'accomplir ses objectifs malgré l'adversité. C'est la base. La définition de l'objectif stratégique, du but de guerre, est primordiale, parce qu'elle va prédéterminée une large part du déroulement de l'affrontement et de son issue. C'est pourquoi ce travail de définition n'est pas anodin et ne doit pas être négligé. Je vais vous présenter ici les problématiques relatives à ce travail et vous proposer une méthode, fondée sur la résolution de ces problématiques, pour définir votre ou vos objectifs stratégiques. Je vais diviser ma présentation en deux. En effet, selon moi, les problèmes liées à ce travail de définition sont de deux types :

  1. Les problèmes indépendants de l'adversité
  2. Les problèmes liés à l'adversité.

 

I – Les problèmes indépendants de l'adversité.

 

Ces problèmes sont de deux sortes. D'une part, ils sont liés à la définition en elle-même de l'objectif. D'autre part, ils sont liés à notre capacité à remplir l'objectif, nonobstant la question de l'adversaire.

 

A – Problème 1 : l'art de bien définir.

 

Définir un objectif, c'est exprimer une volonté de changement. Lorsque je déclare que l'objectif est de conquérir un territoire A, j'exprime ma volonté de conquête de ce territoire. Partant de là, nous pourrions croire que définir un objectif, c'est facile, puisqu'il suffit de mettre des mots sur notre volonté. Ce n'est cependant pas si simple. Bien entendu, nous savons ce que signifie conquérir un territoire, mais si nous voulons être rigoureux dans la définition de l'objectif, il faut pouvoir concrétiser la définition. Si nous reprenons notre exemple, conquérir un territoire A suppose des conditions préalables, des conditions sans lesquelles l'objectif ne pourra pas être accompli. En l’occurrence, la conquête d'un territoire suppose deux conditions préalables :

  • L'invasion du territoire
  • Le contrôle du territoire et le maintien de contrôle

 

Là encore, ce n'est pas encore assez concret comme objectif. Mais à la limite, ce n'est pas très grave puisqu'en général, nous avons des subordonnés pour définir des sous-objectifs et concrétiser l'objectif global. En fait, le problème de la concrétisation de la définition de l'objectif survient quand la volonté exprimée n'est pas claire. Si je déclare par exemple que l'objectif est d'impressionner les autres (les autres peuples, les autres États, le reste du monde, les potentiels adversaires, etc.), c'est déjà bien plus flou. Déjà, qu'est-ce que j'entends par « impressionner ». Qu'est-ce que mes amis comprennent de ce terme ? Qu'est-ce que je comprends moi-même du terme que j'utilise ? Comment mes ennemis peuvent-ils être impressionnés ? Si je tente de définir des conditions essentielles à cet objectif, je suis un peu dans l'incertitude. Être impressionné, c'est subjectif, relatif à chacun. Cela demande de bien connaître les personnes que je souhaite impressionner. Puis, de quel type d'impression je parle ? Je veux susciter une admiration, ou de la peur ? Les deux peut-être ? Il m'est difficile de concrétiser l'objectif et il serait peut-être plus prudent de mieux définir l'objectif, peut-être de mieux comprendre quelle est ma volonté, afin de définir un objectif plus « concrétisable ».

 

J'ajouterais que ce travail de clarification de l'objectif est très important. Si je définis bien mon objectif, il me sera plus facile de savoir si mes actions sont bonnes ou mauvaises. Si mon objectif est la conquête d'un territoire, et que je travaille actuellement à l'invasion de ce territoire, je peux savoir si telle bataille que je mène est importante ou non si elle contribue ou non à l'invasion du territoire. Si cette bataille ne contribue pas, c'est qu'elle ne m'est pas utile, je n'ai donc pas à y consacrer des moyens qui seraient plus utilement utilisés dans d'autres batailles. Si cette bataille contribue, alors je dois y consacrer un nombre suffisant de moyens afin de la remporter, d'autant plus si cette bataille est essentielle pour l'invasion du territoire.

Au contraire, si je définis mal mon objectif, il me sera plus difficile de savoir si mes actions sont bonnes ou mauvaises. Si mon objectif est d'impressionner autrui, que j'ai déterminé que pour cela qu'il me faut provoquer de fortes émotions, il me sera difficile de savoir si telle manœuvre contribue à impressionner l'ennemi ou non. Même si je considère que pour impressionner autrui, il faut mettre en œuvre des manœuvres spectaculaires, je ne peux pas savoir si autrui est effectivement impressionné.

 

Ainsi, la première difficulté quand on définit un objectif, c'est de définir un objectif clair et « concrétisable ».

 

B – Problème 2 : définir un objectif réalisable.

 

Une fois qu'on a bien défini son objectif, d'autres problèmes vont se poser. En général, nous ne disposons pas de moyens infinis pour accomplir nos objectifs, nous n'avons que des moyens limités. Nous sommes soumis à des contraintes de tous genres : matérielles, morales, et surtout temporelles (si nous disposions de l'éternité devant nous pour accomplir nos objectifs, il est certain que la grande majorité d'entre eux pourrait être accomplie). Il faut tenir compte de cette réalité.

Imaginons, mon objectif est de conquérir un territoire dans un temps donné : disons, 3 mois. Ce territoire est vaste de 1000 km sur 1000 km. Cependant, mes moyens ne me permettent d'envahir que des tronçons de 300 km sur 300 km par mois. Vous comprenez que je ne peux pas accomplir mon objectif parce qu'au bout de 3 mois, je ne peux qu'envahir un territoire de 900 km sur 900 km.

 

Bien entendu, dans la réalité, il est rare d'avoir des données aussi exactes. Nous agissons dans l'incertitude et nous ne pouvons souvent savoir qu'approximativement si nos moyens sont adéquats pour accomplir nos objectifs. Malgré tout, il est nécessaire de faire cette démarche puisqu'il est absolument impossible d'accomplir des objectifs sans moyen adéquat. Et si vous constatez que vos moyens ne permettent pas d'accomplir vos objectifs, il ne vous reste que deux solutions. Soit, si vous le pouvez, vous adaptez vos moyens quantitativement et/ou qualitativement à votre objectif. Soit, si vous ne pouvez ou ne voulez pas adapter vos moyens, vous changez d'objectif. Si, dans l'exemple donné, vous pouvez vous suffire d'un territoire de 900 km sur 900 km, ou que vous pouvez attendre jusqu'à un 4e mois pour atteindre votre objectif, vous pouvez décider d'abaisser à ces niveaux le degré d'exigence de votre objectif.

 

Par ailleurs, vous voyez ici tout l'intérêt de définir un objectif clair et concrétisable. Si mon objectif est flou, il m'est difficile de savoir si je peux le réaliser. Si dans l'objectif de conquérir des territoires adverses, je me fixe de conquérir un « gros » territoire, sans préciser une étendue, ou une fourchette, il me sera difficile de savoir si je peux effectivement conquérir un « gros » territoire parce que je ne sais pas ce que j'entends par « gros », ou du moins ceux avec qui je travaille ne le savent pas.

 

Une fois faite cette analyse, il ne vous reste plus qu'à tenir compte de l'adversité.

 

II – Les problèmes liés à l'adversité.

 

Qui est l'adversaire ? L'adversaire est celui qui a pour objectif de contrarier votre objectif. Il est une contrainte supplémentaire qui s'ajoute au problème d'adéquation des moyens à votre objectif, mais il est une contrainte d'une nature particulière. Cette particularité tient au fait qu'il va lui-même adapter ses moyens à son objectif, lequel consiste à contrarier votre objectif et donc adapter ses moyens aux moyens que vous engagerez. Le problème est que vous-même vous adaptez vos moyens aux potentiels moyens que l'adversaire engagera, ainsi qu'aux moyens qu'il engage finalement. C'est un peu l'idée de l'ascension aux extrêmes de Clausewitz : les belligérants sont amenés à engager toujours plus de moyens pour atteindre leur objectif, jusqu'à ce que l'un des deux trouve que le jeu n'en vaut pas la chandelle ou ne puisse plus miser davantage. L'adversaire pose donc deux types de problèmes dans la définition de l'objectif. Premièrement, il rajoute de l'incertitude puisque l'accomplissement de l'objectif dépendra de la façon dont se déroulera l'affrontement. Deuxièmement, il faudra faire attention au choix de l'objectif compte tenu de l'idée d'ascension aux extrêmes.

 

Sur cette deuxième idée, il me faut vous donner un peu plus d'explications. En fait, la définition de votre objectif va directement influencer la façon dont l'adversaire réagira. Si votre objectif contrarie grandement les intérêts de votre adversaire, logiquement, il se montrera apte à mettre en œuvre les grands moyens pour vous empêcher de l'accomplir. Si, au contraire, votre objectif ne contrarie que petitement ses intérêts, il ne les défendra qu'avec de faibles moyens. Maintenant, il faut comprendre que cette mécanique s'applique également à vous. Si votre objectif est de grande valeur pour vous, vous consentirez à engager de vastes moyens pour l'accomplir ; dans le cas inverse, seulement de petits moyens. Comme cette mécanique s'applique aux deux belligérants, sans pour autant que le résultat de cette mécanique soit le même pour les deux, il peut donc arriver qu'un belligérant consente à engager de grands moyens alors que son adversaire n'en voit pas l'intérêt. Vous devez donc faire attention à cela quand vous définissez votre objectif, de sorte à ce que vous ne vous retrouviez pas dans la situation dans laquelle l'adversaire est prêt à engager tous ses moyens contre vous, alors que vous ne souhaitez pas vous-même aller jusque-là contre lui.

 

Méthode pour bien définir son objectif stratégique :

 

À partir de ces courts développements, je vous présente ici une méthode pour bien définir son objectif. C'est une série de questions auxquelles il vous faut répondre :

 

  • 1ère étape : Quelle est ma volonté ? Qu'est-ce que je recherche au fond ?

 

  • 2ème étape : Quel est mon objectif compte tenu de ma volonté ?

 

  • 3ème étape : Quelles sont les conditions nécessaires à la réalisation de mon objectif ? Si vous n'êtes pas capable de répondre à cette question, c'est qu'il est très probable que votre objectif ne soit pas clair. Il vous faut donc le clarifier.

 

  • 4ème étape : Quelles sont mes contraintes ? De temps, d'espace, de moyens, etc. Tous genres de contraintes.

 

  • 5ème étape : Compte tenu de ces contraintes, puis-je réaliser mon objectif ? Si non, abandonnez votre objectif. Tenter de réaliser votre volonté par des objectifs réalisables.

 

  • À part : À toutes les étapes, se demander quelle définition de l'objectif est la meilleure pour minimiser la force de la réaction adverse ?

 

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Ps : Veuillez m'excuser pour cet article à la forme très scolaire.

Publié dans Quelques conseils

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