Qui est le meilleur stratège de l'Histoire ? (2/2)

Publié le par Jimoni

S'il n'a pas été lu, voir l'article précédent.

Mes réflexions m'ont conduit à désigner le meilleur des stratèges. Avant de le dévoiler, plusieurs précisions sur les difficultés du travail mené.

En particulier, la plus grande difficulté est l'exactitude historique. Les récits de certains faits sont parfois très contestables : c'est le cas par exemple des exploits de Khalid Ibn Walid, grand stratège arabe, où on peut douter de certains effectifs évoqués. Nous le citons lui, mais il en va de même pour tant d'autres faits, comme le récit qui est fait de la bataille de la Falaise Rouge. Parfois, le problème ne provient pas de la véracité du récit, mais tout simplement de son incomplétude. Notamment, si l'on se fit à Liddell Hart, il semblerait que le plus haut fait historique provient de Bélisaire qui aurait repoussé une armée Perse de plus de 100.000 hommes avec des effectifs dix fois moins nombreux, sans combat, et ce par une ruse qui aurait consisté à donner l'illusion qu'il possédait une armée beaucoup plus nombreuse qui menaçait les arrières de l'armée Perse. Nous étions tentés de choisir alors Bélisaire pour cet article, mais la vérité est que nous avons douté. Et, en faisant des recherches, nous n'avons pas trouvé de récit équivalent à celui de Liddell Hart : Bélisaire aurait bel et bien repoussé une invasion Perse, mais aucune information sur les modalités n'a été trouvée.

Découle de cette difficulté deux autres difficultés. Premièrement, comment estimer la valeur d'un exploit militaire lorsque son récit est incomplet, ou contestable ? Deuxièmement, dans ces conditions, comment les comparer ? 

En fait, en plus des difficultés analysées a priori dans le premier article, nous avons été confrontés à d'autres problèmes qui rendent la désignation du meilleur stratège quelque peu impossible, toutefois très biaisée.

C'est pourquoi, nous émettons mille et une réserves sur la désignation qui va suivre. Néanmoins, nous ne pensons pas que la désignation soit mauvaise dans le sens où elle peut se justifier. Et c'est justement ce à quoi nous allons nous atteler tout de suite. Ainsi, ce blog désigne comme "Meilleur stratège de tous les temps"...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

... Alexandre le Grand ! Pour l'ensemble de son invasion de la Perse.

Plusieurs raisons nous ont poussé à faire ce choix. Tout d'abord, parce qu'il est déjà régulièrement classé sur divers classements établis par des passionnés d'histoire sur internet comme étant le meilleur stratège, ou comme étant sur le podium. Au-delà des passionnés, Clausewitz lui-même parle de deux dieux de la guerre : Napoléon Bonaparte, et Alexandre le Grand. Ainsi, son talent est déjà communément reconnu à travers le monde.

Ensuite, pourquoi avoir pris la conquête de l'Empire Perse dans son ensemble ? Pourquoi n'avoir pas pris la bataille de Gaugamèles par exemple ? La raison est que nous pensons que l'invasion de la Perse, en tant que fait, est bien plus remarquable que la plus belle de ses batailles.

Qu'est-ce que l'invasion de la Perse ? La Macédoine, un royaume qui contrôle la quasi-totalité du monde grec depuis peu, qui a d'ailleurs dû affirmer son autorité sur les Grecs avec l'arrivée du jeune roi Alexandre qui a succédé à son père Philippe II, décide de s'attaquer à la plus grande puissance au monde de son temps : la Perse des Achéménides. Avec des soldats mieux entraînés et mieux armés, mais très souvent en infériorité numérique, la Macédoine, dirigée par son charismatique roi Alexandre le Grand, gagne chacune de ses batailles. Alexandre, alors roi de Macédoine, devient Pharaon d'Egypte puis roi d'Asie. En bref, la Grèce envahit successivement la Turquie, la Syrie, Israël, la Palestine, l'Egypte, l'Irak, l'Iran, et l'Afghanistan. Ainsi, l'exploit est incontestable.

Concernant la façon dont l'invasion a été menée, Alexandre le Grand a montré son talent à la fois pour les opérations militaires, pour le management et, plus important encore, pour sa politique de guerre.

D'abord, sa gestion des batailles est exemplaire. Les deux principales, la bataille d'Issos, et la bataille de Gaugamèles, sont représentatives de tout son talent. Lors de la bataille d'Issos, il observe l'armée adverse et remarque alors un endroit plus défendu que le reste de l'armée Achéménide. Il décide d'y foncer avec la Cavalerie des Compagnons, véritable unité d'élite macédonienne, en s'y plaçant en première ligne. A priori, la décision a l'air stupide. Or, celle-ci est réfléchie. En effet, pour Alexandre le Grand, un renfort matériel à un endroit signifie un manque de courage de l'adversaire, une faiblesse psychologique. En fonçant en première ligne avec la Cavalerie des Compagnons, il donne du courage à ses troupes, et oppose ainsi une armée forte physiquement et psychologiquement face à une armée prête à fuir et moins forte. Ce qu'il démontre lors de cette bataille est une parfaite compréhension et une maîtrise de la dimension psychologique de la guerre. Il démontre en outre un grand courage : qualité constitutive du génie guerrier selon Clausewitz.

Lors de la bataille de Gaugamèles, Alexandre se montre plus prudent. Cette fois-ci, il ne fonce pas tête baissée face à un ennemi visiblement préparé. Il a ses raisons : en face, Darius a une armée trois fois plus nombreuse, avec des défenses bien plus renforcées que lors de la bataille d'Issos. Bon analyste encore une fois, il décide de laisser les Perses attaquer en premier. Ce qu'ils firent. Alexandre étendit alors le front pour ouvrir une brèche dans la ligne Perse. Il s'y engouffra alors avec sa cavalerie pour foncer tout droit vers Darius. Darius fuyant, l'armée Perse fut mise en déroute. Avec cette bataille, Alexandre montre qu'il n'est pas qu'une tête brûlée. Bon élève d'Aristote, il analyse chaque situation, chaque problème, et trouve une solution adaptée.

Alexandre est ainsi un bon tacticien. Les batailles qu'il a menées durant cette invasion de la Perse furent admirablement remportées. Mais Alexandre sait également vaincre sans recourir à la bataille. C'est ce qu'il fit pour affirmer sa domination dans la partie Est de la mer Méditerranée. La flotte perse était menaçante. Une contre-attaque perse par la mer vers la Grèce, avec l'aide de Sparte, alliée des Achéménides, était une véritable menace. Certains généraux d'Alexandre lui conseillaient alors de détruire la flotte Perse par une bataille navale. Mais Alexandre trouvait cette éventualité trop hasardeuse. Il choisit alors de longer les côtes méditerranéennes. En prenant le contrôle de l'ensemble des ports Achéménides, il privait leur flotte de toute attache. Il lui suffit alors de remporter les victoires terrestres en Anatolie, puis la bataille de d'Issos, ainsi que le siège de Tyr. Il démontre ainsi qu'il maîtrise cet autre aspect de la guerre que sont la logistique et les opérations. Il démontre qu'il sait que la bataille n'est pas le seul moyen de remporter la guerre.

Et cela, il le démontre encore plus par sa politique de guerre. Alexandre sait gagner les batailles, les sièges. Il domine tant sur terre que sur mer. Mais il fait plus que dominer : il conquiert. Pour cela, il utilise une technique qui, finalement, est encore plus vieille que lui : jouer sur la peur et l'attrait à la fois. Côté terreur, il se montre absolument sans pitié pour ceux qui s'opposent à son autorité. Lors du siège de Tyr, les habitants ont refusé de capituler. Une fois la ville prise, une grande partie des habitants fut massacrée. Une telle cruauté était justifiée par l'exemple. Tout comme la sanction pénale, l'idée ici était de dissuader d'éventuelles insurrections de se former. À côté de ce cruel penchant, Alexandre s'attachait à gagner le cœur des pays conquis. Pour cela, il se montra respectueux envers les cultures locales, si respectueux qu'il se soumit lui-même à certains rites. Pour gagner les cœurs des Bactriens, qui peuplaient une partie de l'actuel Afghanistan, il se maria même avec Roxane, fille d'un aristocrate Bactrien. Durant toute sa conquête, il laissa cette option aux conquis : vous serez massacrés si vous vous opposez, vous serez bien traités si vous le souhaitez. Cette politique, que Machiavel recommande lui-même dans le Prince "Il vaut mieux être à la fois craint et aimé", explique sans doute une partie du succès d'Alexandre le Grand. En tout cas, il démontre par là une capacité à voir plus loin que la victoire dans la guerre elle-même. Il comprend que la victoire s'obtient, in fine, au niveau politique. C'est ainsi qu'il parvint à vaincre et à maintenir l'ordre de l'Asie Mineure jusqu'à l'Afghanistan.

Et d'ailleurs, ce voyage ne fut pas de tout repos pour ses soldats. Et ce n'est pas tâche facile de maintenir la discipline et le courage d'hommes qu'on envoie pendant des années loin de leurs foyers. Pourtant, malgré cette difficulté, Alexandre montra ses qualités en gestion humaine et en management. Après les grandes batailles menées, il donna de nombreuses autorisations de rentrer en Grèce, ou encore annulait les dettes de ses soldats. Mieux encore que ces aspects matériels, il écoutait. En effet, après les batailles, il allait voir ses soldats pour parler avec eux. D'abord, cela leur faisait surement plaisir, dans une société égalitaire comme la Grèce, de voir leur roi les considérer à leur juste valeur. Ensuite, cela leur permettait de raconter leurs exploits à Alexandre, qui pouvait récompenser les plus valeureux d'entre eux. C'est peut-être cette écoute, plus que les avantages matériels, qui faisait que les Macédoniens ont suivi Alexandre aussi loin. Mais peut-être que ce qu'Alexandre le Grand faisait de mieux, c'était donner l'exemple. Nous l'avons dit : il montait en première ligne. Il fut d'ailleurs plusieurs fois blessé. Il est même très probable que sa mort s'explique indirectement par ses blessures. Et, notamment, de la dernière de ses blessures. Nous nous écartons de l'invasion de la Perse, mais il nous apparaît nécessaire d'illustrer nos propos par l'évocation du siège de Multan pendant sa campagne en Inde. Lors de ce siège, ses soldats, épuisés physiquement et mentalement, étaient démotivés. Alexandre, seul, prit alors une échelle et gravit les remparts de la ville pour commencer sa conquête, seul. Cela permit à ses soldats de se réveiller et d'accourir à son secours. Par ce geste, Alexandre parvint à remotiver ses soldats, mais au prix d'une blessure qui aurait pu être mortelle : un de ses poumons fut perforé. Ainsi, pour guider et motiver ses soldats, il était prêt à risquer sa propre vie. N'est-ce pas là plus de la folie que du courage ? C'est une critique qui peut être faite à Alexandre. Mais ici, nous l'honorons de ce caractère.

Toujours concernant le management, lorsque l'exemple, l'écoute, ou le bon traitement ne suffisaient plus ; Alexandre manipulait. Plusieurs fois ses soldats ne voulaient plus le suivre, et lui faisaient comprendre. Alexandre usait alors de ses qualités d'orateur. Mais, parfois, cela ne suffisait plus. Alexandre était alors un véritable acteur. Il culpabilisait ses soldats ("soit, rentrez chez vous en Grèce, vous expliquerez ainsi comment vous avez laissé votre roi entouré d'ennemis"). Tous les moyens étaient bons : il pleurait, se mettait en colère. Il est allé jusqu'à bouder ses soldats, s'isolant dans sa tente pendant trois jours. Et jusqu'à sa dernière bataille, le siège de Multan, il parvint à convaincre ses soldats de le suivre.

Tous ces éléments font partie intégrante de l'invasion de la Perse, et magnifient l'exploit réalisé par Alexandre le Grand.

Pour résumé, en soi, l'exploit est déjà grandiose puisqu'il est impressionnant pour un Royaume d'un peu plus de 100.000 km² d'envahir un empire de plusieurs millions de km². En plus de cet exploit sur le papier, Alexandre démontre sa connaissance complète de l'art de la guerre et son talent dans la mise en œuvre. Il maîtrise tant la gestion des batailles et l'aspect politique de la guerre, que la gestion de son armée. C'est cette très grande maîtrise de l'ensemble des aspects de la guerre qui nous a convaincu de choisir Alexandre le Grand comme étant le meilleur stratège de l'histoire.

La leçon d'Alexandre :

Pour terminer, retenons la leçon que nous donne ce grand stratège. Ce qu'il nous montre, c'est que l'art de la guerre ne se résume pas à être un expert dans l'art de la manœuvre. La stratégie est une discipline polyvalente qui demande des compétences multiples. Il faut à la fois savoir gérer le court terme, comme les batailles, le moyen terme, gérer les opérations et la guerre en elle-même, et le long terme puisqu'il faut surtout accomplir l'objectif politique. Il faut donc être à la fois militaire et politicien. Mais aussi il faut aussi savoir gérer les hommes, et donc être bon en management. Ainsi, un bon stratège connaît la science militaire, les sciences politiques, et les sciences de gestion.

Publié dans Réflexions

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S
Bonjour, vous faites erreur, Khalid est le plus grand stratège de l'histoire, il changeait les défaites inéluctables en victoires éclatantes, il a humilié les perses et les byzantins avec des stratégies de guerre phénoménales, et le plus frappant c'est qu'il a gagné toute ces batailles en outsider, avec 50 fois moins d'hommes, il a entrepris des conquêtes en plaçant sa confiance en Dieu alors que statistiquement il n'avait aucune chance ! Il eqt incontestablement le plus grand stratège de l'histoire.
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J
Bonjour et d'abord merci pour votre commentaire :)<br /> <br /> Évidemment, ça se tient. Surtout si l'on considère qu'il n'y a pas de controverse historique à propos des exploits de Khalid Ibn-Al Walid. J'avoue ne pas être historien donc je me fie à mes lectures personnelles qui me disent de faire preuve de précaution à son égard.<br /> <br /> Toutefois, à force de me dire que le meilleur est Khalid, je commence à avoir des doutes. Je pense que j'irai faire un article dessus un de ces quatre. <br /> <br /> Après, comme je le mentionne dans le premier numéro de cet article, toute la difficulté d'un tel classement entre les stratèges est de trouver des critères. On peut estimer le meilleur stratège selon différentes façons :<br /> - qui a remporté le plus de batailles<br /> - qui a accompli le plus grand exploit <br /> - qui est le plus reconnu<br /> - etc.<br /> <br /> Enfin bref, j'ai pris Alexandre car il me semble qu'il n'y a pas trop de controverse historique sur ses exploits (nonobstant les débats sur les effectifs engagés bien entendu), parce qu'il est reconnu, et aussi parce qu'au-delà d'être un grand chef militaire, c'est aussi un grand chef politique. Or, un bon stratège doit maîtriser tous ces aspects.<br /> <br /> Encore merci, bien à vous :)
K
Bonjour.<br /> <br /> Merci de votre article.<br /> <br /> A ce titre Khalid Ibn Walid est un meilleur stratège.<br /> <br /> Avec moins d'homme, d'une terre plus petite et moins fertile, il a conquis également toute la Perse.<br /> <br /> Cordialement
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J
Bonjour et de rien :)<br /> <br /> Comme je l'avais expliqué dans l'article précédant celui-ci à un autre de mes lecteurs, le problème de Khalid Ibn Walid est celui de l'exactitude des faits le concernant. Également, il me semble que la conquête de la Perse par les Musulmans s'est achevée après sa mort (du reste, il n'est pas le seul meneur même au début de cette conquête).<br /> <br /> Malgré tout, il reste effectivement un stratège hors norme, invaincu et qui a brillamment remporté la Bataille de Yarmouk :). Et effectivement, par rapport à Alexandre le Grand, sa situation était peut-être plus précaire. Le débat qui consiste à savoir qui est le meilleur stratège reste entier.<br /> <br /> Bien cordialement,<br /> Jimoni.